Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

« … ils pourront plus manger mais ils auront tous un emploi » (Philippe LABBE, 28 novembre 2014)

28 Novembre 2014, 09:18am

Publié par mission

Il n’est jamais inutile de renvoyer les discours aux faits. Si le Président de la République a inscrit les politiques de la Jeunesse « au premier rang des priorités du quinquennat », qu’en est-il des moyens accordés ? Une très récente analyse par le CNAJEP du projet de loi de finances 2015 est à ce titre tout-à-fait éclairante (1).

L’évolution du « BOP 163 » (jeunesse et vie associative) révèle ainsi que les crédits accordées aux actions sont tous en baisse, ceux du « Développement de la vie associative » l’étant modérément. Par contre, les crédits de l’action 2 « Actions en faveur de la jeunesse et de l’éducation populaire » se sont infléchis de 41% depuis 2008… tiens, juste au moment du début de la crise ! Toutefois le député de la Loire Régis Juanico a proposé deux amendements, tous deux acceptés, qui permettront de maintenir en 2015 au même niveau que 2014 les crédits des actions « Développement de la vie associative » et « Actions en faveur de la jeunesse et de l’éducation populaire ».

Ce « même niveau », même si l’inflation est faible, correspond au principe de « à moyens constants »… c’est-à-dire avec moins de moyens puisqu’il faut bien rémunérer les animateurs, les encadrants, etc. qui par l’ancienneté et/ou les compétences sont en droit d’espérer une progression, même modeste, de leur pouvoir d’achat (ce que l’on appelle le « glissement vieillesse-technicité (GVT) »).

Ah oui, c’est vrai, caramba, j’oubliais : de toutes parts, on entend dire qu’il faut diminuer le coût du travail pour être compétitif. Jusqu’où diminuer ? Et bien, élémentaire mon cher Watson, jusqu’au niveau des pays émergents. On écoutera ainsi avec plaisir sur France Culture (2) la réponse de Pierre-Edouard Magnan, délégué fédéral du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) à l’économiste Pierre Cahuc qui défend la baisse du coût du travail (probablement pas le sien) :

(extraits)

- Pierre Cahuc : « … Il y a vraiment un consensus, à droite comme à gauche, pour constater que baisser le coût du travail ça permet de créer des emplois… »

- Pierre-Edouard Magnan : « Moi, mon problème avec le coût du travail c’est que, si je pousse la logique un peu à la caricature mais ça a le mérite de l’éclaircir à mon avis, c’est que si on veut supprimer le chômage on n’a qu’à supprimer les salaires. A partir du moment où on ne paye plus les gens, ils auront tous un emploi, ils pourront plus manger mais ils auront tous un emploi. Et, du coup, ils seront morts vite, ce qui règlera le problème. »

Toutefois, force est de constater que l’idéologie dominante ne va pas dans le sens du MNCP. Entre les coups de boutoir de Gattaz, qui veut globalement supprimer toutes les protections sociales, et les rapports officiels tels celui de Pisani-Ferry (enterrement des 35 h, gel des augmentations et allongement triennal des négociations salariales), sans oublier le refus d’un « coup de pouce » au SMIC annoncé par François Rebsamen (de gauche) il y a quelques jours, on est mal parti.

Reste un espoir… qui ne viendra pas des « experts » mais des jeunes. Ceux, par exemple, du quartier de Bagatelle qui, hier, sont venus sur le chantier du futur centre commercial « L'hippodrome de Toulouse » pour réclamer le droit de travailler (3).

Le droit au travail ? Et bien oui, ce droit a été affirmé pour la première fois, en 1848 par la 2ème République qui créa, dans cette perspective, des Ateliers nationaux permettant de fournir un travail aux chômeurs. Ce droit au travail a été repris dans le préambule de la Constitution de 1946 qui affirme : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », et par notre Constitution actuelle.

Le droit d’obtenir un emploi ne s’entend pas comme une obligation de résultat, c’est-à-dire comme une obligation absolue de donner à tout chômeur un emploi, mais bien comme une obligation de moyens. Il s’agit, pour les pouvoirs publics, de mettre en oeuvre une politique permettant à chacun d’obtenir un emploi.

C’est d’ailleurs ainsi que l’a interprété le Conseil constitutionnel. Dans une décision de 1983, il a affirmé qu’il appartient au législateur « de poser les règles propres à assurer au mieux le droit pour chacun d’obtenir un emploi en vue de permettre l’exercice de ce droit au plus grand nombre d’intéressés ».

Une obligation de moyens appelle… des moyens. Le chômage augmente, l’OCDE prévoyant que cette évolution durera a minima jusqu’en 2016. Autant dire que l’OCDE n’en sait rien, sinon que ça durera. « A moyens constants » ne devrait être traduit que « à moyens similaires évoluant en fonction de l’évolution du chômage »… sauf à ce que ces moyens soient moindres et, subséquemment, que l’obligation de moyens ne soit pas respectée. Depuis 40 ans (1973, fin des « 30 Glorieuses »), le nombre de demandeurs d’emploi n’a jamais été aussi élevé : un maximum de 3 346 000 D.E. en 1994… dépassé avec 3 460 000 D.E. en octobre de cette année. Les moyens mobilisables pour accompagner les jeunes, qu’il s’agisse de politique jeunesse ou de politique d’insertion ne sont pas, de façon patente, à la hauteur et nombre de rapports parlementaires constatent la sous-dotation du SPE comparativement à nos voisins européens. Ils constatent, ils constatent… et le bizutage social de la jeunesse se poursuit et s’accentue.

Décidemment, le changement ne viendra pas des institutions. Il viendra de la jeunesse, excédée. Qui ira sur les chantiers pour réclamer son dû. Ou qui, un de ces jours, portera plainte pour maltraitance : rappelons-nous que, lorsque le droit à l’accompagnement avait été créé en 2005 (article 13 de la loi de cohésion sociale), Laurent Hénard avait averti : « Si l’on créée un droit, on aura du contentieux. » Ca viendra, voilà au moins une certitude.

 

(1) http://lemouvementassociatif.org/actualite/cnajep-analyse-du-plf-2015

(2) http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4958284

(3) http://france3-regions.francetvinfo.fr/midi-pyrenees/2014/11/26/des-jeunes-du-mirail-reclament-du-travail-sur-le-chantier-d-un-futur-centre-commercial-600694.html

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