Mission. Insertion (Philippe Labbe Weblog. II)

Et la chenille devînt papillon…(Philippe LABBE (1), 20 avril 2013)

22 Avril 2013, 08:43am

Publié par mission

De la difficulté de parler de crise…

 

Par les temps qui courent, le mot le plus fréquent étant désormais « crise », il se produit un étonnant ou tout au moins paradoxal phénomène, avec deux effets.

 

D’une part, une saturation car, si il est commun de dire que la répétition est mère de la pédagogie, elle l’est également de la fatigue et de l’agacement. Ainsi, parlant de crise, vous risquez fort de provoquer deux réactions : l’ennui, ce qui est une forme d’agacement intériorisé, car il est vrai qu’il n’est pas besoin de se déplacer pour en entendre parler, il suffit d’ouvrir sa radio… Qui plus est, il en est de la crise comme de la jeunesse : chacun ayant son opinion pour l’avoir vécue ou la vivre, outre enfoncer des portes ouvertes, vous risquez le rejet, cette fois forme d’agacement extériorisé, exprimé généralement par quelques noms d’oiseaux de mauvaise augure, de type « déclinologue » ou « Cassandre ». Il est donc difficile de parler de crise, a fortiori parce que celle-ci charrie les mêmes mots dont celui de « dette » qui poursuit l’objectif de culpabiliser puisque, grosso modo, la génération des insiders, ex-baby-boomers et désormais papy-crashers, serait particulièrement irresponsable vis-à-vis de sa progéniture. Mais rappelons que « La somme actualisée de tous les intérêts de la dette payés depuis 1974 (date à laquelle a été introduite en France l’obligation, pour l’Etat, de se financer sur les marchés) représente près de 1 200 milliards d’euros sur les 1 641 milliards de l’ensemble de la dette publique. » Ainsi « les intérêts de la dette constituent la mesure de la prédation que les marchés opèrent sur la population depuis quarante ans. »  D’autre part, la dette est présentée fréquemment en pourcentage du PIB, soit 90% pour la France (plus de 100% aux USA, plus de 220% au Japon) mais «  mettre en rapport un stock de dettes avec un flux annuel de production n’a en fait guère de sens. Pour un ménage, il est fréquent d’avoir une dette supérieure à son revenu annuel, ce n’est pas nécessairement un problème, au contraire, cela peut permettre de réaliser des projets à long terme, de se projeter dans l’avenir. » De la sorte, un couple accédant à la propriété, gagnant mensuellement 4000 € et prenant un crédit de 200 000 €, serait endetté à hauteur de 416% de son « PIB » !  Mais culpabiliser est une excellente stratégie de contention. Si, en plus, on coche la case « nous sommes tous responsables », outre que cet aveu emporte nécessairement l’adhésion – qui se revendiquerait comme irresponsable ? – ce choix offre l’avantage de ne pas pouvoir identifier et désigner des responsables. Les deux cents familles « maîtresses de l’économie française » que fustigeait Edouard Daladier se sont diluées homéopathiquement dans soixante millions de Français. (...)

 


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(1) Conférence pour le Comité d’Etablissement des Cheminots de Bretagne, Rennes, 20 avril 2013. Philippe LABBÉ, ethnologue, docteur en sociologie, SCOP Pennec Études Conseils, p.labbe.pennec@orange.fr  Je dois une reconnaissance, pour cette contribution, au remarquable ouvrage de Christophe RAMAUX, L’Etat social, 2012, Paris, Librairie Arthème Fayard, « Mille et une nuits ». Christophe RAMAUX est membre du collectif Les économistes atterrés, dont je suis également membre, et a publié (entre autres) « La pleine activité contre le chômage : les chemins de l’enfer peuvent être pavés de bonnes intentions » (Appel des économistes pour sortir de la pensée unique, Pour un nouveau plein emploi, 1997, Paris, Syros & Alternatives économiques) ainsi que « Eloge de la dépense publique » (Les économistes atterrés, Changer d’économie ! 2011, Paris, Les liens qui libèrent).

 


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